Leurres et réalités de l'indépendance économique

Faire vivre décemment la totalité des habitants

Le Professeur René Gendarme, auteur non suspect de colonialisme, écrit dans son livre sur l’Économie de Madagascar : « Un pays n'est pas indépendant parce qu'il a un drapeau, un hymne national ou des ambassadeurs, il est indépendant quand il est capable de faire vivre décemment, seul, la totalité de ses habitants. » cette phrase devrait être méditée en Afrique. Une telle méditation contribuerait à la « décolonisation des mentalités » à laquelle le Président Senghor conviait naguère le peuple sénégalais. Décolonisation des mentalités, car il s'agit d'abord d'un effort des esprits pour voir, au-delà des slogans quand même politiques, les nécessités concrètes du développement. Si on a, en Afrique, accordé trop de foi à des formules dirigistes, c'est par une pente de facilité intellectuelle. On y a vu des recettes qu'il suffisait d'appliquer. De même, on a cherché à copier trop servilement les pays développés, qui peuvent s'offrir le luxe de formules plus socialistes, au point de justifier cette phrase désabusée du Rapport Jeanneney : « Trop souvent l'indépendance nouvellement conquise des jeunes nations paraît être utilisée moins pour s'assurer un développement original que pour parfaire leur assimilation à la France... ».

*

**

Dans le cadre d'une étude aussi brève, point n'est question de tracer même les grandes lignes d'un développement générateur d'une véritable indépendance économique. Il y faudrait tout un livre. Indiquons seulement qu'il s'agirait avant tout de promouvoir un certain nombre d'actions susceptibles d'éclater les structures de refus. C'est en effet « un des traits de l'économie des sous-développés » que d'être « une économie bloquée ». Loin de rechercher l'autonomie pour elle-même, ces pays devraient tenter de se greffer sur des économies où ces structures de refus et ces blocages n'existent pas. Il s'agirait principalement de souscrire une série de conventions collectives d'association dont malheureusement la Convention de Yaoundé, par suite des tergiversations européennes, n'offre qu'une ébauche très incomplète, comme d'ailleurs, autre esquisse, la convention qui a créé l'UDIAC. Ces conventions, brisant les dangereuses frontières économiques, pourraient concerner notamment la répartition, entre les États signataires, de la charge et du bénéfice des aides, les régimes des investissements et la fiscalité des entreprises, une garantie mutuelle d'indemnisation des biens spoliés, enfin et surtout une organisation préférentielle des échanges.

C'est dans ce dernier domaine, malheureusement, que la Convention de Yaoundé s'avère insuffisante. Les Africains ont bien apporté en dot, à leurs associés européens, de très estimables préférences douanières et contingentaires. En contrepartie, ils n'ont pas recueilli, pour leurs produits agricoles, le régime privilégié qui eut été légitime, mais une aide prétendue à la diversification des cultures qui, pour quiconque connaît les obstacles techniques à cette diversification, apparaît une sorte d'indemnité temporaire. Il est regrettable qu'au moment où les Africains ont enfin vu clairement la nécessité salvatrice de créer des interdépendances, nos partenaires européens se soient, eux, dérobés.

Car il n'est d'autre indépendance économique que la prospérité, et une prospérité à laquelle les Africains n'atteindront que grâce à des actes de solidarité internationale.