Douleur

Janvier 1940

Au contact des solitudes,

Toutes vos solitudes comme un goût d'herbe dans ma bouche,

Comme le vent d'embrun qui me pénètre.

En moi toutes vos solitudes,

Et comme un cri de sirène dans le brouillard

L'appel de votre détresse.

Ah ! La nuit n'est pas si dense que vos solitudes ne viennent à moi,

 

Mes frères,

Chair de ma chair souffrant au delà de la nuit,

Âmes fouillées de douleur comme les arbres fouaillés de vent,

 Vivants que je ne peux aimer

Que comme on aime les morts.

 

Tu vis des mots que tu m'as dits. La pression de ta main ce dernier soir

Survit.

Oh ! Complicité de la nuit autour de vous, je vous sens perdus dans la nuit have de pièges,

Ou tiède, et qui peu à peu vous prend dans la mort.

Comme ces déesses autrefois,

Comme ces déesses qui versaient le sommeil avant la mort,

La nuit vous entraîne, elle vous prépare,

Elle vous embaume de mort,

Et déjà vous n'êtes plus d'ici,

Déjà la nuit a laissé ses lambeaux à vos yeux,

Déjà...

O vivants plus lointains que les morts...

 

Et moi ; gabier attardé quand toutes les gabarres ont démarré,

Moi dernier survivant peuplé de jeunes morts.

Comme un vent de mer au goût pourri d'algue et d'eau morte,

J'absorbe vos solitudes.

 

Et déjà tout mon corps est ancré dans la mort.