L'épave
Sliny things did crawl with legs. Upon the sliny sea
Coleridge
Le ciel est gris, la mer en démence et brumeuse,
Un navire affolé s'enfuit sous l'ouragan,
Il va gîté, sans mat, sans voile extravagant,
Fendant du bout dehors, l'étendue écumeuse.
Chaque planche du bord gémit avec le vent,
Et le bateau divague au gré de la tempête,
Il scande son allure, avance, vogue, arrête,
Et les vagues sur lui se jettent en bavant.
La poupe élève au ciel une vierge sans tête,
Aux débris du hauban pendent des varechs bruns,
Le pont s'ouvre béant où roulent des embruns,
Et le bateau qui craque à des bruits de squelettes.
Un livide soleil l'inonde de son sang
Et dessine les mats dont il projette l'ombre ;
Et le bateau fantôme étend sa forme sombre
Sur la mer terrifiante où le soleil descend.
Des cadavres verdis pendant au bastingage,
Des spectres éthérés s'agitent sur le pont,
Au hurlement des flots jamais rien ne répond
Dans ce sinistre, morne et lugubre équipage.
Entrechoquant leurs os dans les vergnes du mat,
Des squelettes blanchis balancent à la hune,
Plus sinistres encor, quand se lève la lune,
Macabres, on les voit danser sur le ciel mat.
Le vent siffle passant par leurs poitrines vides,
Ils ont d'étranges lueurs aux orbes de leurs yeux...
Et l'horrible bateau, sans voile et sans feu,
Va toujours, charriant ses cadavres livides.