Berceuse

Juin 1925

 

I

Dors mon bébé, dehors la mer affreuse

fait retentir ses sanglots émouvants

Dors mon petit car sur la mer houleuse

Yann est parti sur les flots mugissants.

II

Dors mon bébé sur ta petite barque

Il est parti ton papa que j'aimais.

Sous l'ouragan son mât de rouvre s'arque

j'ai peur de l'onde on n'en revient jamais.

III

Dors mon bébé ta mère est malheureuse

elle recoud les filets de pêcheur,

c'est pour garnir ton assiette fumante.

Pour te sourire, elle sèche ses pleurs.

IV

Il gît ton père au sein des eaux sans bière,

et les flots gris remplacent son linceul.

Pauvre petit tu n'as plus que ta mère

et je suis seule, et tu resteras seul.

V

Tu partiras sur les routes lointaines,

et tu mourras, tout seul sur ton bateau,

tu danseras sur les mers incertaines,

et l'eau sur toi fermera son manteau.

VI

Dors mon bébé la misère est affreuse

en sommeillant on ne ressent plus rien,

on s'endort mal quand l'estomac vous creuse

mais après tout ça vaut mieux que la faim.

VII

Yann serait mort dans un lit sous le chaume,

au cimetière on verrait une croix,

mais il est mort sur cette mer fantôme,

dont par moment nous entendons la voix.

VIII

Si je pouvais prier sur une dalle,

j'épancherais le chagrin de mon cœur,

mais il est mort ton père dans sa cale,

et de se taire augmente la douleur.