Le chant des sirènes

Château de la Blotinière, septembre 1926

 

Les sirènes chantaient

A. Samain

 

Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres – Était-ce la saveur du sang ?

Mais peut-être était-ce la saveur de l'amour. On dit que l'amour a une âcre saveur.

Oscar Wilde (Salomé)

 

Les sirènes chantaient sur la mer apaisée

Où la houle mourait silencieusement,

La nuit tiède montait, les vagues irisées

Berçaient, d'un rythme lent et doux, le firmament.

 

Les sirènes chantaient sur la mer apaisée

Enivrés, les bateaux partaient vers l'inconnu,

Leur voile déployée au souffle des risées...

Au lointain, dans la brume, ondulaient des corps nus.

 

Des torses sourcilleux nageaient parmi les vagues,

Des volutes d'argent luisaient de reflets verts,

Et les marins fermaient, extasiés, leurs yeux vagues,

Entendant des appels vers le lointain des mers.

 

« Venez, la nuit est douce et la mer est tranquille,

« Le parfum des varechs énerve nos désirs,

« Les brises ont, ce soir, des caresses fébriles,

« Et tout à soif de voluptés et de plaisirs ;

 

« Nos seins sont durs et nos hanches sont fermes,

« Et la lune ruisselle en nos croupes d'argent,

« Les flots, lascivement, frôlent notre épiderme.

« Quand nous les sillonnons de gerbes, en nageant.

 

« Venez, renversez-nous sur nos couches de nacre,

« Que nos lèvres unies éclatent de baisers,

« Et que tout votre sang coule entre nos dents, âcre,

« A l'Aube vous mourrez sur nos lits, épuisez ;

 

« Qu'importe ce qui fait les voluptés sublimes

« Et l'étrange frisson que vous donnent nos corps,

« C'est de savoir que nos baisers, sont des abîmes,

« Et que dans notre amour, vous trouverez la mort. »

 

Les sirènes chantaient sur la mer apaisée...