L'Est Asiatique résistera-t-il au communisme ?

1953

 

« Poursuivons le communisme en Asie ! Pourchassons-le », clament les Républicains aux États-Unis. Pris dans le réseau de ses promesses électorales, le Général Eisenhower entame sa présidence par un geste spectaculaire – et certainement vain – en Asie : il déneutralise Formose. Au moment où nous écrivons, les interventions française et britannique semblent avoir évité que ce premier acte soit suivi de quelques autres non moins spectaculaires et non moins vains.

Spectaculaires et vains ? Cette politique américaine nous paraît prétendre apporter une solution complètement étrangère aux données du problème asiatique.

Cohabitation avec l'Asie

Une formule, aussi lisible qu'une formule chimique, résume ce problème asiatique. La moitié de l'humanité vit sur un sixième des terres émergées en ne disposant que d'un cinquième du revenu mondial est-il spécialement mal distribué. L'inégalité des situations, en Asie, est beaucoup plus flagrante et profonde que chez nous. Le sous-prolétariat asiatique n'est pas un prolétariat à la puissance cinq. Nous le placerions aux environs de la puissance dix. Si au lieu de parler de revenus et de terres émergées nous parlons en pouvoir d'achat, la formule se transposera dans les termes suivants : quand un citoyen américain dispose de huit cents dollars, un anglais en dispose de cinq cents et un asiatique de cinquante.

Certes cette situation n'est pas neuve. Voilà des siècles et peut-être des millénaires que l'humanité asiatique meurt de faim. Sans doute, et cette misère n'est pas un drame nouveau, sinon pour notre conscience d'occidentaux. Naguère encore ils étaient si loin, ces pays d'Asie, séparés de nous par tant de décades et même de mois de navigation. L'invention de la vitesse, qui a changé la face du monde, les a désormais précipités sur nous. Nous sommes à quarante-huit heures de Tokyo. Dans quelques mois un « Comète » nous portera jusqu'à Saïgon en treize heures. Voilà qui éclaire de son vrai jour, en particulier, le drame d'Indochine : le Mékong est beaucoup plus près de Paris que ne l'était le Rhin en 1870.

Et désormais tout asiatique sait, il voit, il touche que nos prolétaires les plus misérables sont encore les aristocrates de l'humanité.

Et cette révolte a pris un nom et une forme en Asie : le communisme. Oh ! un communisme qui, le plus souvent, se préoccupe assez peu de dialectique marxiste et de matérialisme historique (plus qu'on ne croit pourtant). Si bien que sur ce drame fondamental de notre temps s'est contreplaquée  la guerre froide. À cette guerre froide asiatique – très peu froide – le Général Eisenhower prétend mettre un terme par les moyens que nous avons dits. Éclairés par un récent périple asiatique, nous voudrions indiquer ce qui à notre sens doit penser de l'adoption de ces moyens à leur fin.