Allusion à l'Extrême-Asie

Survol

L'avion frôle l'étendu miroitante que les diguettes enserrent d'un réseau brun. À la mer intensément bleue répond cette étendue vert pâle où contrastent, jetés au hasard par je ne sais quelle marée cosmologique, des calcaires velus de jungle. Parfois un fleuve soutache de sinueux rubans roses cette étendue. Un village touffu de palmes souligne sa courbe. Village perdu comme une île, un de ces villages semés comme en archipels sur l'étendue amphibie. La pagode ou l'église, une clôture en bambou, des venelles en chicane, une épaisseur feuillue où se tapissent les cases... Chaque village vit par soi, enclos, solitaire hostile, couvant ses morts et ses vivants d'une peureuse sollicitude.

Chaque village est un vaisseau sur l'océan du temps. Il glisse à sa surface. D'aucune fissure il ne fait eau. Colmaté de coutumes, gréé de traditions il dérive des anciens âges, intact. Toute l'épaisseur des siècles s'isole de nous, plus inabordable qu'un au-delà.

Processionnent sur la diguette les petits hommes vêtus de noir, processionnent les petits hommes à chapeau pointu. Un monde où on ne marche jamais côte à côte, par couple, mais en file, surveillant le sol inégal, et d'un cheminement de fourmi ; l'opiniâtre travail de la rizière maintient courbé : la terre vietnamienne interdit qu'on lève les yeux vers ses horizons.

Mais ces horizons déchirés, horizons de montagnes bleues sculptées en flamme, ne sont-ils pas le dos hérissé du dragon ? Par delà l'océan piqueté de jonques, au-delà des laiteuses pâleurs de la rizière et de l'imprécise boue des deltas, il veille pour garder hors du temps la terre villageoise du Viet-Nam, le dragon.