Conférence à la fédération des teintures et apprêts

IV – Il faut vouloir

Voilà bien des cartes, et des cartes maîtresses dans les mains de la France : le tout est qu'elle sache les jouer, et, peut-être encore plus, qu'elle veuille les jouer.

Globaliser

J'ai fait allusion à tout ce que nous apportons à l'Afrique, j'ai fait allusion aux investissements, aux surprix, aux subventions. Le drame est que cet apport multiple et considérable, nous semblons le dissimuler : que dis-je, nous le dissimulons effectivement. Voilà 15 ans que la France a accomplit pour ces pays sous-développés un effort auquel l'effort d'aucun autre pays ne se compare : mais, afin que le contribuable métropolitain ne s'en aperçoive pas, elle l'a soigneusement caché. Elle le voile au regard sous la complexité d'un nombre considérables de chapitres budgétaires. Elle évite qu'on l'additionne en le volatilisant à travers une série de budgets annexes. Le contribuable métropolitain n'a pas su l'effort accompli par lui, c'est un fait : mais le bénéficiaire d'Outre Mer, en toute bonne foi, ne l'a pas vu davantage. L'aide de la France est si soigneusement dispersée qu'il en ignore la somme.

L'exemple le plus frappant de ce double phénomène a été présenté à propos du Maroc. Voici quelques années, à grand fracas de discours patriotiques, l'Assemblée Nationale a refusé à cet État quelque cinq milliards d'investissements. On en a conçu à Rabat une vive irritation. Mais au moment même de ce refus spectaculaire, la France accordait de façon occulte au Maroc quelques soixante milliards par an. Ah ! ces soixante milliards, à peu près cinquante pour cent du budget ordinaire du Maroc, n'étaient pas apportés massivement. C'étaient quelques quinze milliards représentés par l'absence de droits de douane à l'entrée en France pour les produits marocains, c'était la cotisation du Maroc au fonds monétaire international, c'était l'Intendance de l'Armée Royale supportée par notre propre Intendance, c'était les pensions des anciens combattants... Je n'en finirais pas d'énumérer. Il est difficile de ne pas penser que quelques milliards versés d'un seul coup, au moment choisi, auraient eu plus d'efficacité.

Contreparties économiques plutôt que contrôle

Notre première démarche doit être de globaliser notre aide et de la globaliser clairement. Ces peuples doivent être à même de mesurer exactement ce que nous apportons à leur économie et de prendre ainsi, en connaissance de cause, leurs décisions. Toutefois, il est une erreur capitale, une erreur vitale à ne pas commettre : nous ne devons à aucun prix et sous aucun prétexte troquer nos avantages économiques contre une influence politique. Ces peuples seraient peut-être obligés de l'accepter, mais ce sont des peuples fiers et ils ne nous le pardonneraient pas. Non pas qu'il faille rien donner gratuitement : au contraire. Ils verront toujours derrière la gratuité une arrière-pensée politique. Ils penseront toujours qu'elle est une manière de les acheter. Au contraire, aux avantages économiques, demandons une contrepartie économique, à ce prix seulement ils comprendront que nous ne poursuivons pas d'avantages politiques. Discutons pied à pied s'il le faut. En Afrique on attache plus de prix à ce qu'on a obtenu après discussion. Discutons pied à pied pour chaque préférence tarifaire accordée ou à chaque subvention, demander une préférence pour nos produits. Après tout, c'est ainsi qu'on se comporte entre peuples libres et adultes. Tout le reste est paternalisme ! Et pour les Africains, c'est la meilleure garantie que l'aide apportée soit permanente. Sinon, un jour ou un autre, la France se lassera. Elle se rappellera qu'elle a, elle aussi, des secteurs sous-développés. Mais surtout, pour des peuples fiers, et qui possèdent toute raison de l'être, n'est-il pas satisfaisant de penser qu'ils ne tendent pas la main, mais qu'en réalité, en assurant la prospérité de l'apparent donateur, au lieu de se faire aider, ils s'aident eux-mêmes ?

Cette idée de contrepartie doit se substituer à l'idée de contrôle. En France, nous tenons de nos administrations financières une étonnante passion pour le contrôle. Chez nous déjà bien souvent cette formule est périmée qui allie la tracasserie à l'inefficacité. En Afrique, un contrôle qui par définition ne peut être que tardif est une illusion. Mais il irrite. Il crée chez les Africains l'impression que ce qui leur a été donné ne l'a pas été tout à fait. Ils en déduisent facilement qu'on cherche à reprendre. Combien plus sage et réaliste de laisser les Africains libres d'utiliser à leur gré les subventions de toutes formes que nous leur concédons, et simplement d'exiger pour nous-mêmes les nécessaires contreparties.

Je n'insisterai pas sur la défense de nos positions culturelles ; bien qu'elles soient essentielles à la sauvegarde de notre expansion économique. Voici peu de temps, elles ne semblaient nulle part menacées. Malheureusement certaines organisations internationales commencent de mener en Afrique une offensive contre le français. C'est d'autre part une question d'enseignement qui a retardé la conclusion des accords de coopération avec la Haute-Volta. Notre pays devra déployer pour assurer le maintien de la langue française en Afrique un effort beaucoup plus soutenu qu'on pouvait le penser il y a quelques mois.

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