Quatre escales africaines

Lomé

Un petit pays qui, à force de subir des colonisations successives, n'a jamais ni bénéficié ni pâti de la colonisation, tel peut apparaître le Togo. Sur le golfe du Benin, Lomé, cette capitale d'opérette, somnole sous les cocotiers. La vie politique, elle aussi, tient de l'opérette, ou plutôt de la comédie bourgeoise. Les partis politiques nouent des intrigues qui rappellent les imbroglios de Marivaux, sous le regard bienveillant du Président Grunitsky dont ses Ministres m'ont tous répété « qu'il était trop bon. » Lui-même s'est plaint à moi de « multiplier les comités de conciliation entre les partis qui soutiennent (?) son gouvernement sans parvenir à rien concilier ». Les deux représentants, au sein du Gouvernement, de la très extrémiste « Juvento » lui donnent un mal tout particulier, l'invitant par exemple à reconnaître la Chine Populaire, comme l'a fait le Dahomey à qui M. Grunitsky ne le pardonne pas en menaçant d'une agitation syndicale d'ailleurs impossible dans un pays où la plus récente manifestation syndicaliste n'a pas réuni quatre vingt personnes. Malgré tout, ce pays vit de ses deux richesses : le phosphate et la contrebande douanière exercée au détriment de ses voisins.

Celle-ci pourtant est en crise, et le pays en subit le contrecoup. Le Ghana, déversoir habituel de cette contrebande, n'a plus d'argent pour payer. Le cours de la livre ghanéenne s'effondre chaque jour. Lors de mon bref passage, je l'ai vue baisser de quatorze points. Ainsi se révèle au Togo la fragilité d'une économie basée sur quelque chose d'aussi artificiel que la fraude.

Le Président Grunitsky cherche à remédier à cette fragilité économique. Malheureusement, il est beaucoup plus desservi que servi, dans cet effort, par une fâcheuse rivalité germano-française. Alors que partout ailleurs en Afrique francophone, et notamment au Cameroun, capitaux français et capitaux allemands collaborent et procèdent à des investissements vraiment européens, on a l'impression qu'au Togo l'Ambassade de France, qui « en remet » sur chaque foucade du Général de Gaulle, vit dans une perpétuelle jalousie de l'Ambassade allemande. Au contraire, son flirt avec l'Ambassade des Soviets est outrancier, et s'étale en photo sur la première page du journal. Parallèlement, du côté allemand, on commet de graves imprudences en attribuant une valeur à des hommes aussi inconsistants que le Vice-Président de la République, M. Meatchi, et en le soutenant dans ses ambitions, au surplus sans chance de succès, de remplacer le Président Grunitsky. Le vide du personnage réserve de pénibles surprises à ceux qui fondent sur lui un espoir, et cela d'autant plus que M. Meatchi ne peut nourrir l'espoir, pour le moment, d'obtenir l'appui de l'armée qui, au Togo comme ailleurs, apparaît le véritable arbitre d'une situation politique complexe.

Même sur le plan économique, l'absurde rivalité des deux grandes Puissances européennes comporte de néfastes conséquences, entraînant des investissements imprudents parce que mal garantis. Tout ceci est dommage car le Togo est un pays sage. Le bon sens du Président Grunitsky pare et contrebalance ce que d'autres éléments ont parfois de trop turbulent. Ce pays pratique une politique étrangère de sagesse, recherchant l'accord avec la Côte d'Ivoire contre le farfelu Président du Ghana, M. N'Krumah, et contre la politique pro-chinoise du Dahomey, politique dont nous allons parler dans un instant.