Pour une renaissance africaine

Continuité africaine

Et l'Afrique d'aujourd'hui, c'est cela : mélange presque inextricable du meilleur et du pire, le plus odieux des dépravations modernes conjugué avec le meilleur de la tradition. Le total est incohérent. L'Afrique est d'abord un continent troublé dans son âme et qui se cherche. Le choc de la colonisation, puis celui de la décolonisation se sont succédés, l'un et l'autre véritables chirurgies sociales. Sans doute les réactions de l'Afrique Noire à la décolonisation sont-elles d'autant plus viscérales que les excès de la colonisation ne s'y étaient que relativement peu exercés sous la forme  de dépossessions matérielles. Certes on peut citer des exemples de telles dépossessions, et d'odieux, mais beaucoup plus rares que dans d'autres régions. La véritable frustration coloniale en Afrique fut d'ordre spirituel et culturel. Missionnaires et instituteurs laïcs ont rivalisé de générosité, mais aussi, trop souvent, de suffisance intellectuelle devant un monde dont ils ne soupçonnaient pas les richesses. Ils ignoraient quel trouble leur forme de rationalité apportait dans des esprits entraînés à toute autre logique. En même temps la coutume subissait le choc brutal du monde moderne. De ce choc elle sortait plus tyrannique par une défense instinctive de l'âme noire contre l'acculturation mais, en même temps, par une contagion quand même de l'Occident, détournée de son vrai sens. L'exemple le plus frappant est la dot. Dans la société traditionnelle, la dot de faible valeur (une chèvre ou quelques menus objets) était la contrepartie symbolique de la perte d'un de ses membres par le clan. Avec l'invasion de l'économie monétaire, elle est devenue une vraie rente de chair humaine avec pour conséquence l'accaparement des femmes par des vieillards riches, le proxénétisme et la prostitution. Les meilleures intentions des européens, elles-mêmes, ont souvent contribué à troubler la société africaine ou à paralyser une évolution qui eût pu être progressive. Le plus grand tort de la colonisation française en Afrique fut un paternalisme bienveillant. Nous nous sommes substitués aux responsabilités économiques des africains. Nous les avons guidés pas à pas. Nous les avons pris en charge. Nos tracteurs, et notre effort aussi, ont remplacé leur travail. Si bien que l'indépendance a trouvé un africain dont l'éthique tribale s'était, soit effritée, soit mercantilisée par la rencontre du monde moderne et qui, en même temps, collectivement encore plus qu'individuellement, opérait un transfert, au sens psychanalytique du terme, de ses responsabilités. L'Afrique indépendante est un continent orphelin.