Littérature

La nuit de la Saint-Jean

1944

(Comédie des Champs-élysées)

 

On pouvait craindre que la saison théâtrale ne s'ouvrît à Paris sous le signe de la médiocrité. Rien n'émergeait. Cette espèce de lent étouffement dont les allemands nous accablèrent pendant quatre ans, cette gangue dans laquelle ils nous avaient enfermés n'avaient-ils pas comme amorti l'esprit français. Symptôme inquiétant. Le théâtre n'est pas seulement un art ou plutôt, comme tout art il est un signe. Il atteste de la vitalité d'un pays. Les grands artistes et les héros sont de la même étoffe. Quand un pays s'anémie il ne produit plus ni l'un ni l'autre. La vie artistique est un signe de richesse intérieure.

Alors, même dans cette guerre, même dans cette espèce de magma où la France de demain cherche sa forme, ce n'est pas un vain jeu que d'étudier toutes les manifestations de notre art. Non, les allemands, pendant ces quatre années n'avaient pas réussi à nous étouffer car nous avions quand même monté le Soulier de Satin et c'est une date. Non, car nous avions quand même le plus grand peintre vivant : Derain. Non, car dans le silence où l'ennemi les confinait un Mauriac, un Valéry et ce Giraudoux que nous pleurons continuaient d’œuvrer.

Et voici que de cette médiocrité que nous redoutions surgissent déjà trois œuvres. Trois manifestations théâtrales du plus haut intérêt : l'interprétation si personnelle que Raimu donne à la Comédie Française du Malade Imaginaire ; les quelques séances où le Rideau des Jeunes – la plus sympathique de nos troupes – a joué la Cantate de Narcisse et le supplément au Voyage de Cook ; la Nuit de la Saint-Jean à la Comédie des Champs-Élysées.

Pour aujourd'hui nous ne parlerons que de la Nuit de la Saint-Jean. Cette pièce nous vient d'Angleterre. On sait la valeur de la littérature anglaise contemporaine. À ceux qui doutaient, elle eut du suffire à leur faire comprendre que contrairement à Carthage, l'Angleterre ne serait pas détruite. Penser à Morgan le romancier si profond, à Virginia Wolf, à Rosamond Lhemann, à Baring, à Mary Webb.

Si je devais définir un lien entre ces écrivains par ailleurs si divers je dirais : un certain impressionnisme. Et c'est bien dans la lignée de l’impressionnisme que se situe la pièce de James Barrie. Cet impressionnisme est d'ailleurs quelque chose de spécifiquement anglais. On le trouve déjà dans Shakespeare. Ses comédies comme aériennes, en sont pleines. Il est leur poésie si prenante. D'ailleurs la Nuit de la Saint-Jean s'apparente directement aux comédies de Shakespeare. À toutes les scènes on pense au Songe d'une Nuit d'Été.

À chacun des personnages réunis  au hasard dans un château, mais qui ont ceci de commun qu'ils estiment avoir raté leur vie par malchance, il est donné « une nouvelle chance ». Un tournant de leur vie fut décisif les a orientés définitivement croient-ils.

Dans la féerie d'une nuit de la Saint-Jean ils vont pouvoir recommencer mais ce n'est pas la malchance,, c'était leur caractère qui les avaient déterminés. Le valet malhonnête devient un banquier véreux ; il est toujours un voleur. La femme mal mariée en épouse un autre ; elle est encore plus malheureuse. L'oisif inutile se trouve des occupations ; elles sont toujours aussi puériles.

Et pourtant un des personnages se réalisera. Il aurait voulu être père et n'a pas eu d'enfant. Dans cette nuit de la Saint-Jean il aura une petite fille à lui. La scène est merveilleuse. Jamais l'amour paternel ne fut exprimé si délicatement.

L'enchantement prend fin, chacun retourne à son ancien personnage et ce retour donne lieu à toutes sortes de quiproquos. Le deuxième acte étant toute poésie, le Troisième acte est tout humour. Ces « sautes » sont bien anglaises, et bien shakespeariennes aussi.

Deux acteurs sont vraiment bons : Henri Rollan, qui sait toutes les ressources de son métier et en use avec tact ; Jacqueline Bouvier, dont la jeunesse, le rythme, l'élan sont exquis.

La Nuit de la Saint-Jean a reçu de la presse un accueil très divers. Il ne faut pas s'en étonner. Tant de stupidités trouvent un public et même des critiques pour les louer ! Un journal du soir a prétendu que la Nuit de la Saint-Jean n'atteindrait pas la nuit de la Saint-Sylvestre. Il veut sans doute parler de la Saint-Sylvestre 1945.