Un livre qu'il faut lire : L'Islam de Pierre Rondot

La Croix 31/03/1966

 

Qu'est-ce que l'Islam ? Le temps est loin où Voltaire parlait des « temples des mahométans » et de leurs statues ! Nous n'en sommes plus à une telle ignorance. Pourtant, pouvons-nous affirmer que sur cette religion qui est en même temps civilisation, nous sommes informés comme il conviendrait à des gens qui désormais cohabitent avec les musulmans ? Plus que jamais notre histoire se mêle avec celle de ces peuples, parfois dans des heurts sanglants mais aussi dans les rencontres quotidiennes de la paix. Nous sommes à présent très près, dans notre monde rétréci, de ces terres d'Islam étirées en un long bandeau à travers le globe, depuis l'Atlantique jusqu'à l'Indonésie. En France même, nous vivons dans une communauté journalière avec quelques cinq cent mille musulmans. A Paris, nous ne prenons pas un métro que plusieurs d'entre eux ne s'y trouvent. Quelle manque de sympathie humaine serait de ne pas chercher à connaître et ce qu'ils pensent et ce qu'ils aiment ! Quelle peu charitable indifférence d'ignorer leur foi et leurs mœurs !

Depuis quelques années, pour nous aider dans une tâche qui est un devoir, quelques bons et même excellents ouvrages ont paru (je pense bien entendu aux livres de Gardet). Mais aucun ne présente l'ensemble de qualités du livre très bref – et ce n'est pas son moindre mérite – que Pierre Rondot, sous le simple titre L'Islam, vient de publier dans la collection Prismes des éditions Lafarge. Pierre Rondot a su éviter les trois défauts que présentent trop d'ouvrages de cette sorte. Le premier de ces écueils, plus rare à présent qu'autrefois, est le manque de sympathie. On ne comprend que ce qu'on aime et parce que, s'il reste lucide, l'amour que Pierre Rondot porte à l'Islam est profond, son ouvrage parvient à nous en traduire l'âme. Le second écueil, qui a présent gâche beaucoup de livres sur l'Islam, est l'introduction de la politique sous son aspect polémique. Reste un troisième écueil, où butent un grand nombre d'historiens ou de sociologues des religions. Ils sont contraints, car des termes de comparaisons sont indispensables pour nous rendre intelligible leur sujet, de se référer au christianisme. Or, ce christianisme, ils l'ignorent, Mohamed V, dans une interview célèbre, confondit, et on ne pouvait le lui reprocher, le dogme de l'Immaculée Conception avec le dogme de l'Incarnation. Mais cette erreur, il ne l'avait pas commise de lui-même et bien des historiens ou sociologues des religions émaillent leurs ouvrages de confusions aussi grossières, trahissant leur sujet par des comparaisons erronées.

Voilà les trois écueils auxquels Pierre Rondot a échappé. Je dirai même que sa très sûre connaissance de  la spiritualité et du dogme chrétien sont la qualité même de son petit livre : l'itinéraire par quoi il nous mène est jalonné de repères sûrs et tout le connu du christianisme nous permet d'accéder, à travers contradictions, rapprochements et similitudes, vers l'inconnu pour nous de l'Islam. Ajoutons que l'ouvrage est complété par une excellente chronologie, des indications pratiques et une bibliographie sommaire certes, mais qui constitue un guide progressif de lecture pour qui prétend approfondir ses connaissances. Dussè-je faire souffrir Pierre Rondot dans sa modestie, j'affirmerai que son bref ouvrage est le chef-d’œuvre de la vulgarisation intelligente. Et j'ajoute, pour les vieux routiers de l'Islam, que j'ai  pour ma part beaucoup gagné à rassembler et ordonner mes connaissances grâce à un résumé aussi clair et logique.

On ne relate pas le contenu d'un tel livre. Disons seulement qu'il est complet, car il nous présente à la fois l'Islam dans son caractère temporel et spirituel de religion communautaire, et à la fois le monde musulman dans ses évolutions récentes et son devenir. Je disais que pour nous, qui cohabitons avec l'Islam, nous avons le devoir de la connaître. Nous pouvons aussi trouver en lui, dans son spiritualisme intransigeant, dans son théisme passionné, des leçons de foi. Après tout ne fut-il pas pour un Charles de Foucauld le chemin emprunté par la Grâce ?

 J'en conclurai que nous avons le devoir de lire l'ouvrage de Pierre Rondot.