Les USA et l'URSS vont-ils se partager le monde ?

17/2/1948

 

On nous annonce des négociations secrètes entre Washington et le Kremlin. On nous parle d'un partage du monde. Ce n'est pas la première fois. Mais d'abord sur quoi s'étayent ces bruits ? D'abord sur une déclaration ambiguë et aux trois-quarts démentie de M. Murphy, adjoint et probablement successeur du général Clay. Ensuite une dépêche d'un correspondant à Washington d'un journal Suisse extrêmement sérieux : le « Bund ». Enfin, un démenti de  Washington, présenté dans des termes tels qu'on peut y voir une invitation à l'URSS. L'Union Soviétique cesserait sa pression en Grèce et dans le Moyen-Orient, en échange de quoi on lui abandonnerait sans conteste, ou presque, les pays où d'ores et déjà elle exerce son influence.

Ces nouvelles ne peuvent être accueillies qu'avec une extrême réserve. Nous avons donné les informations sur lesquelles on brode. Elles sont fort minces. Néanmoins, sans se laisser aller à une émotion intempestive, on peut dire, sans crainte de se tromper, qu'un apaisement momentané et partiel entre l'URSS et les États-Unis est dans la ligne normale des événements. Ce serait là un aspect de cette campagne électorale internationale pour la présidence des États-Unis dont nous avons souvent parlé. Les Russe poursuivent en effet une double tactique assez facile à déchiffrer : d'une part provoquer une intervention généralisée  des USA dans le monde, intervention qui entraînera fatalement des échecs. Ces échecs, on les orchestrera auprès de l'opinion américaine grâce à l'extrême gauche de Wallace et à l'extrême droite de Taft. Mais, en même temps, pour mieux souligner ces échecs et les présenter comme le fait même de l’intransigeance de Truman et Marshall, on se montrera plus généralement conciliant. On jouera à l'apaisement.  

En face de cette manœuvre, que peut faire le Département d'État ? Il ne peut que jouer le jeu et se prêter, lui aussi, aux apparences de conciliation. Et c'est ici que le faisceau de nouvelles que nous résumions à l'instant devient difficile à interpréter. Ou bien les États-Unis, sans rien perdre de leur vigilance, se livrent à une simple parade. Ici aucun danger. Ou bien ils se laissent prendre à l'appât qu'on leur tend : la paix moyennent un partage du monde. La paix contre l'abandon à l'URSS des positions acquises impudemment depuis deux ans. Au fond, ce ne serait là qu'un nouveau Munich, la consécration d'un autre Anschluss. La paix vaut beaucoup de sacrifices. Encore faut-il qu'ils ne soient pas immoraux. Encore faut-il que cette apparence de paix ne soit pas le simple et commode prélude à de nouvelles agressions.

En avons-nous l'assurance ? On dit bien à Washington que la reconnaissance des « avantages » acquis par les Soviets devrait s'accompagner d'une « augmentation de la liberté humaine » dans les pays pratiquement annexés par l'URSS. Ces termes vagues justement sentent leur Munich. Surtout rien dans ces nouvelles ne présage la vraie paix. On devine que l'Union Soviétique gagne du temps pour parfaire son équipement atomique. On voit le parti qu'elle tire de la situation pour soutenir les isolationnistes américains. Du côté des États-Unis on sent le désir de ne rien brusquer avant les élections présidentielles, mais on cherche aussi à parachever le réseau de bases qu'on établit autour de l'URSS. L'apaisement qu'on nous signale est-il autre chose qu'un épisode de la guerre froide ?