Dialogues à Madagascar

par Christiane Fournier2

18/9/1963

Dialogues à Madagascar de Christiane Fournier est un livre mauvais. Pourtant il mérite qu'on en parle.

Il est mauvais. On ne sait ce qu'on doit le plus blâmer : une composition scintillante et papillotante, si saccadée qu'on a peine à suivre le discours ; des erreurs énormes de conception (tout à coup, et ce n'est qu'un exemple, s'insère dans une apologie spirituelle de l'Île un éloge des pionniers de l'aviation française) ; des idées cocasses, tel le rapprochement entre Jacques Rabamenanjara et l'Ovide de Dieu est né en exil. Il paraîtrait, d'après notre Christiane Fournier, que ce livre expliquerait tout le problème de Madagascar. Elle ne nous dit évidemment pas pourquoi. L'interview du Président Tsiranana, où cette dame demande à l'homme d’État quel est son héros favori, prouve une lecture excessive des magazines féminins, mais cause une certaine surprise à qui connaît le Président malgache et son robuste bon sens. Pour poser une telle question, il fallait avoir vraiment envie de parler à tort et à travers, ce qui paraît être une habitude de l'auteur. Que dire du style ! Nous en donnerons seulement un échantillon (p. 74) :

« Cet homme au beau visage- un visage de Christ que la douleur n'aurait pas encore sculpté – qui faisait à la portière le geste des au revoir sans lendemains, c'était son fils. Et le train qui ne fut plus qu'une carcasse sinueuse dans la distance, c'était son sang qui s'écoulait de son cœur ».

Et pourtant ce livre vaut d'être lu. Il le vaut, car l'auteur, mauvais écrivain, est bon journaliste. Dans un style emprunté à la chronique sportive de France-Soir, Christiane Fournier fait sentir, parce qu'elle l'a comprise, la spiritualité profonde de Madagascar. A force d'anecdotes et de petits faits, elle nous en livre l'âme. Elle comble la lacune essentielle du Madagascar3 pourtant excellent de « ? » (remarquons en passant que ce sont deux écrivains féminins qui ont le mieux compris la Grande Île). Elle fait sentir, surtout, à quel point Madagascar a une vocation à la sainteté.

Le sang des martyrs en témoigne, comme l'héroïsme de cette Princesse Victoire Rosoamanarivo qui sera sans doute canonisée. Au temps des grandes persécutions, cette émule des Clotilde et des Radegonde sauva à elle seule la foi de l'Imerina. Et puis, le malgache, l'âme entièrement tournée vers l'au-delà, familier d'une mort dont la vie n'est guère qu'une étape, est certainement le peuple le plus spirituel du monde. Même sa pudibonderie et son puritanisme, qui nous font quelquefois sourire, attestent que la chair a ici moins d'emprise qu'ailleurs.

Cela Christiane Fournier nous le fait très bien sentir comme elle montre l'effort des missionnaires catholiques et protestants. Le peuple malgache aura été sans doute le peuple passé dans le plus court laps de temps du paganisme au christianisme. Hélas ! Le colonisateur n'y aura pas toujours prêté la main. Il suffit de citer le nom de cet Homais – Gouverneur, Augagneur, laissant fermer les léproseries plutôt que d'y tolérer des religieux ! Certes, le vieux fond païen – mais quand même très spiritualisé – persiste, et les sorcières font encore régner leur peur dans trop de régions demeurées inaccessibles. Mais désormais au flanc d'une Afrique où le christianisme ne progresse que peu, fragment éloigné d'une Asie, où ce christianisme ne pénètre presque pas, Madagascar est vraiment terre de chrétienté.

Christiane Fournier sait aussi évoquer la pauvreté poignante de la population malgache. Elle cite des faits si douloureux que rien qu'à la lire on a mal. Pour cela aussi, son livre mérite qu'on passe outre à ses défauts. Christiane Fournier a su comprendre une civilisation et elle nous aide à la comprendre : ce n'est déjà pas si mal.

Tamatave, le 31 août 1963

 


2 Edition Fleurus.

3 Edition du Sud. Collection Petite Planète.