Sauver l'Afrique du communisme

Madagascar

Je n'ai pas encore, sauf par référence, prononcé le nom de Madagascar. Quelles que soient les différences fondamentales entre Madagascar et l'Afrique, beaucoup de ce que nous venons de dire s'y applique. Seulement, à Madagascar, le problème est d'abord politique.

Double péril sur Madagascar

En Afrique Noire, on ne prononce que peu le mot d'indépendance. C'est parce que les étudiants l'emploient, que M. Sekou-Touré les taxe d'irréalisme. Pour la réclamer immédiatement, le Parti Africain de l'Indépendance s'est fait expulser de la Commission des partis africains. À Madagascar, au contraire, beaucoup répètent ce mot – et d'abord, c'est justice, les béni-oui-oui qu'a fabriqué l'administration.

C'est un fait : il existe beaucoup d'éléments d'une nationalité malgache. En Afrique Noire, les courants nationalistes ne correspondent pas à des nationalités. Ils ne sont que colère contre une humiliation raciale séculaire. En dépit des diversités ethniques, l'unité de langue, l'imérinisation de l'île réalisée par le Maréchal Galliéni, ont confédéré aux Malgaches beaucoup des éléments d'une nationalité. Aujourd'hui, même le betsiléo, même l'antandroy ou le bessimissaka se dit et se sent d'abord Malgache. Bien des faits, depuis la médiocre qualité de notre administration jusqu'à la rivalité archaïque des confessions chrétiennes, surtout l'éloignement d'une métropole ignorante, ont renforcé ce courant. Pierre de Chevigné, depuis tant calomnié, même à coups de Pater Noster, Pierre de Chevigné dont les épaules ont été chargées avec les fautes de son prédécesseur socialiste, l'avait bien senti qui, dès son arrivée dans l'île, avait parlé de sa « vocation à devenir un État associé ».

Seulement, si on parle beaucoup d'indépendance à Madagascar, si on trouve au moins certains éléments d'une nationalité, il n'est aucun pays pour qui cette indépendance ne représente une plus grave menace.

Du risque, un des adeptes les plus fervents de ce nationalisme (je ne me sens pas autorisé à vous révéler son nom) m'a fait la description : « Nos diverses races se heurteront, nous serons submergés par une rapide infiltration indienne ou bien le communisme confisquera cette indépendance à son profit ». Cette sincérité, nous aimerions qu'elle ne soit pas réservée pour le huis-clos. Car le risque est bien analysé. Le risque indien d'abord. L’Île Maurice n'est pas si loin, où les 300 000 Indiens écrasent les 30 000 Mauriciens. Et sous cette pression  l'Angleterre vient d'abolir leur dernier privilège : la langue française. Océan Indien, en Hindi on traduit cela : Mare Nostrum.

Péril déjà que l'impérialisme indien, quand les nationaux de cette Union pénètrent déjà beaucoup à Madagascar. Mais l'Inde est un géant d'argile. Déjà un de ses États du Deccan est gratifié d'un gouvernement communiste. Surtout le Népal, qui commande les passes de l'Himalaya, a viré vers le bloc soviétique et la frontière du Népal n'est qu'à 160 kilomètres de Dehli. Sur ce plan de la mise en défense contre le communisme où se situe mon rapport, voilà déjà une grave cause d'inquiétude.

Rassembler les forces chrétiennes

La menace soviétique est encore plus directe. Elle est dans l'île même. C'est un des drames de Madagascar que le communisme en soit la seule force politique organisée. Dans les récentes élections son influence s'est marquée jusque dans la composition de certains Conseils de Gouvernement. Pour y remédier, le Haut-Commissariat a tenté de créer de toutes pièces un parti socialiste. Ne reposant sur rien, ce parti n'a pu faire que surenchère de nationalisme. Curieuse aberration que vouloir créer un parti animé de laïcisme, dans un pays dont la seule vraie force et le seul élément stable est le sentiment religieux.

Face au communisme montant, seul un rassemblement des chrétiens pourrait sauver l'Île. Malheureusement ils sont divisés entre catholiques et protestants, archaïquement opposés, nous l'avons dit, et encore divisés entre protestants, et encore divisés entre catholiques. Aucune personnalité n'a émergé sur laquelle ils fassent leur unité.

Cette inorganisation explique d'ailleurs la difficulté d'autoriser le retour des anciens parlementaires, sans parler de l'extrême excitabilité de l'opinion. On sait quelle émeute a provoqué le retour du corps d'un joueur de rugby décédé en métropole ! Rassembler les forces chrétiennes, non sans contact avec ceux des anciens parlementaires que n'a pas contaminé le communisme, est une tâche nécessaire et préalable à toute évolution politique de l'Île, si urgente soit-elle.

Mais si Madagascar possède certains éléments d'une nationalité, elle n'en possède pas tous les attributs ou plutôt toutes les capacités. Une nation doit être à même de concourir au bien commun de ses membres. Une élite, comme suspendue en l'air au-dessus de masses amorphes, possède-t-elle cette capacité ? J'en doute. Ce n'est pas un travail moins urgent que reconstituer les structures paysannes effritées par le heurt de la colonisation. Une ascension de cette masse rurale s'impose. Pierre de Chevigné l'avait bien compris quand il préconisa la restauration des fokolona. Malheureusement, son effort ne fut guère poursuivi par ses successeurs. On le compromit même, en faisant des fokolona un instrument de travail forcé. Pierre-Henri Teitgen tenta d'y remédier, envoyant des instructions qui constituent un véritable Code de la promotion rurale. J'ai peur de devoir ajouter : en vain, tant j'ai l'impression que cette entreprise nécessaire est à peine commencée. Pourtant comment Madagascar résistera-t-elle à une emprise communiste chaque jour plus insistante sans, à la base, une démocratie paysanne ?

Reste enfin que si l'évolution de Madagascar doit normalement la mener vers un statut national, elle ne peut maintenir sa liberté que par une association étroite avec la France. Dans son cas, il ne s'agit peut-être pas de construire un système communautaire de même nature qu'avec l'Afrique. Il faudrait perdre l'habitude de vouloir régler toutes les situations, fussent-elles différentes et même disparates, dans le cadre d'institutions uniformes. Je rappelle à mon porte-parole du nationalisme le propos qu'il me tint à huis-clos : sans cette association le sort des Mauriciens attend les Malgaches.