Simples propos d'un Européen sur le socialisme africain

Qu'est-ce que le socialisme africain ?

Même quand son comportement s'inspire du libéralisme économique, tout gouvernement africain, à quelques exceptions près, se déclare socialiste. Ce phénomène mériterait une analyse sociologique. À son origine on trouverait certainement le fait que, lors de la colonisation, les nationalismes qui devaient aboutir à l'indépendance ont en Europe été compris et soutenus avant tout par des partis de gauche. Les étudiants, notamment, aile active de ces nationalismes, n'ont souvent pas connu d'autres européens que les membres de ces partis. Revenus au pays, nantis du pouvoir, sourds aux impératifs de l'économie, chargés de responsabilités ils ont souvent su oublier des idéologies inventées par des occidentaux pour des occidentaux et rarement adaptables, de ce fait, aux réalités africaines. Ils ont donc dû laisser de côté la pensée socialiste, mais ils en ont quand même gardé le vocabulaire. Et c'est déjà un trait commun des socialismes africains, pourtant disparates, que d'avoir subi le poids du terroir – un poids plus fort que les principes appris dans les livres ou les meetings. Ce vocabulaire, les hommes d’État africains l'ont gardé aussi un peu par snobisme. Que mes amis africains me pardonnent si je les choque, mais eux et leurs chefs, en maniant les mots d'ordre gauchistes, quitte à n'y point obéir, se défoulent d'une sorte de complexe d'infériorité, pourtant bien injustifié. L'audace de leur pensée leur paraît compenser un sous-développement économique dont ils ne voient pas qu'il ne signifie aucunement une infériorité culturelle. Fermant les yeux sur les vérités ancestrales de leur pays, les oubliant par la faute d'études expatriées, ils essaient de se projeter dans un illusoire XXIème siècle. De crainte d'apparaître arriérés, ils s'attachent paradoxalement non seulement aux utopies européennes, mais à des utopies européennes bien dépassées, tel le marxisme, matérialisme scientifique mais de la science de 1850.

Une autre cause aussi préside à cet appétit de se déclarer socialiste : la crainte du néo-colonialisme économique. Une telle crainte ne manque pas de motifs. On pense qu'il ne suffit pas d'avoir échappé aux anciennes tutelles administratives. L'affranchissement ne paraît pouvoir être complet que grâce à une rupture économique. On redoute que par des machinations capitalistes, apparemment obscures, l'Occident colonisateur ne pèse encore trop lourd sur l'Afrique et indirectement sous les drapeaux de l'indépendance politique l'asservisse. Tel est peut-être l'aspect le plus caractéristique du socialisme africain : il est avant tout la réaction d'un nationalisme encore sourcilleux faute parfois de reposer sur une nationalité assez ferme ; faute aussi d'avoir pris une conscience suffisante d'une indépendance venue si brusquement que ses bénéficiaires, comme éblouis par leur conquête, paraissent encore en douter ; faute aussi d'avoir compris que cette indépendance, si elle représentait une victoire de la dignité humaine ne résoudrait  pas à elle seule tous les problèmes, comme on l'avait trop cru ou voulu le croire au temps de la colonisation.

Cet ensemble de phénomènes, je ne prétends pas à travers eux juger le socialisme africain. J'essaie seulement de m'expliquer comment des hommes aussi différents voire opposés de tempérament, de pensée ou de politique que les Présidents Tsiranana, Senghor et Sekou Touré pour ne parler que de ceux-là, ont adopté depuis sept ans ce même vocabulaire et sembleraient, à les entendre, s'inspirer d'un même principe.