Sur les fleuves de Babylone

Sur les fleuves de Babylone, les pâles fleuves sans roseaux, les pâles fleuves entre leurs rives pâles de sables.

Les fleuves où l'on ne chante pas. Les fleuves qui ne chantent pas – silencieuses leurs eaux lentes, les fleuves dormant de silence.

Sur les fleuves de Babylone nous n'avions pas de harpe et seuls quelques palmiers de fer miraient leurs palmes immobiles presque noires dans le ciel dur.

Fleuves silencieux de Babylone, qui m'avez vu sur vos rives, moi, voyageur émergé d'autres plaines et d'autres silences – moi voyageur émergé des fleuves inimaginables et du silence qu'on ne dit pas. Au delà, très au-delà de tout, retranché face au visage rodé de la mort, face à ce visage innommable, émacié de mal, dans l'enlisement d'un blasphème mou.

Au delà des fleuves de Babylone. Dans la nuit moite, la nuit d'opium et d'excréments, la nuit chinoise et torturante, quand je naviguais loin de Dieu.

Passent les fleuves de Babylone, Passent les fleuves de silence.

Tempête sans vague. Immobile ouragan et mon silence.

Même si je dis seul ce poème, il est votre résurrection, elle est cathédrale même si nul n'y prie, ma nef.

La haute nef ressuscitante des feuilles.

Soudain jaillies, branches que charriaient mon sang, terre à travers moi frissonnante.

 

Mer, O mer dont l'écume est éternelle sur ma lèvre, O Mer lusitanienne aux confins d'une Afrique toute drapée d'or.

Vous m'appelez, votre gémissement vous m'imposez de l'écrire, terre crucifiée dans ma chair.

Même ce poème que nul ne lit vous ressuscite, elle est verbe aussi la parole que nul n'écoute.

Monde, O monde que pour l'éternité je nomme.

 

Plante de la mer qui me supplie de parler et l'immense roulement de la barre,

Passion en moi des feuilles qui germent, O douloureuse, dans ma chair,

Bourgeon dans chaque fibre de mon corps, éclosion dans mes lèvres, saillies,

des sèves au délire de mes tendons, là où les nébuleuses convergent,

où se rencontrent les galaxies toujours s'enfuyant, où se réunit l'éclatement des planètes,

En moi, dans le nom d'un univers et des choses, en moi, moi – moi toute la terre.

Moi les soleils morts depuis les millénaires, et les étoiles éteintes qui brillent, et l'éternité des éphémères météores.

Parce qu'un jour deux bois sont croisés, et que la parole créatrice a recréé dans l'éternelle sonorité de son silence.

J'ai vu les liturgies tragiques de la mer, la crinière des barres volaient dans une course éperdue de cavales.